J'arrive! Et je vais faire du bruit!

C'était un de ces jours calmes, trop calmes. Un de ces jours mornes, que je pensais totalement dénué d'intérêt. Ce genre d'instants aux atmosphères un peu grisâtres, ni noires ni blanches, juste grises si bien qu'il était difficile de trouver quoi penser. Ces instants où tantôt on doute, tantôt on se sent vide à un point où réfléchir est impossible. Ce genre de jour qui équivaut à un paradoxe... c'était un jour comme ça.

J'étais assise en tailleur sur le rebord de ma fenêtre à savourer le vent plutôt chaud qui venait de l'Ouest, le vent d'Ouest était souvent agréable par ici. Mais dehors il faisait assez lourd, étouffant. Oui, je me sentais mal, la preuve était là : je ne souriais pas. Chose terriblement rare, mon visage était si souvent ponctué d'un sourire que c'était devenu son expression normale, alors quand je ne souriais pas... pourtant je n'étais pas triste, non. Juste vide et impuissante. Incapable de jouer avec mon propre deck, incapable d'affronter la réalité. Une peureuse... depuis l'année précédente, j'avais si peur, j'étais paralysée lorsqu'il s'agissait de duels. Je ne savais pas que les duels pouvaient être une chose aussi terrifiante, je ne savais pas que la peur était un sentiment aussi horrible.

Et alors que j'y repensais, mon corps tremblait.

J'étais vide, Jin avait quitté la chambre sans doute pour réaliser un de ses défis farfelus comme s'approcher du cratère du volcan ou je ne sais pas quelle autre idiotie. Si elle ne revenait pas vite me remonter le moral, si quelqu'un ne me changeait pas rapidement les idées, j'allais devenir dingue. Je le savais. Ce fut la raison qui me poussa à sortir m'aérer. Mais comme jamais je ne faisais les choses dans la demi-mesure, je sautai par la fenêtre, estimant que sortir côté mer était plus sympa... je n'étais pas folle non plus hein, ce n'était pas haut et j'avais l'habitude d'escalader tout et n'importe quoi.

Je regardais le ciel un peu vide puis baissai mon regard afin de le planter vers l'horizon. Le soleil se reflétait avec intensité à la surface de l'eau, je dus plisser les yeux pour distinguer vaguement la limite entre le ciel et la mer. L'air et l'eau. L'attribut eau, pour moi c'était Jin. L'attribut air... je ne connaissais encore personne qui avait de deck basé là-dessus. Est-ce que ça existait, au fait ? Ah, moi et ma culture avoisinant zéro. Moi qui était douée en cours normaux, je me plantais à chaque cours de théorie ici. J'étais la plus nulle, et la plus nulle que j'étais allait se faire virer si elle continuait de fuir ses propres cartes. J'étais une honte, LA honte de l'Académie et je le savais. Et soudain je distinguais quelque chose, comme une silhouette au large. Un bateau. Le bateau... les nouveaux élèves ! Voilà, j'avais trouvé une occupation. Un peu de contact humain ne me ferait aucun mal. Je ne pus m'empêcher de sourire rassurée, ravie ; de manière presque tendre à l'idée d'éventuellement nouer une amitié avec l'un d'eux.

Je poursuivis ma route jusqu'au port, me hâtant, et attendis adossée au cabanon que le bateau accoste. Je patientais... et lorsqu'enfin il arrima, je me mis à observer tous ceux qui descendaient. Un type attira mon regard de par sa démarche singulière... et je m'aperçus que pour couronner le tout, ce dernier s'approchai de moi. Il me tendit une main... je la regardais étonnée, il s'en dégageait beaucoup de douceur et de sincérité. De gentillesse, plus précisément. C'était l'impression que j'avais en la saisissant et la serrant dans la mienne. Je lui offris un sourire immensément large, j'étais heureuse de rencontrer quelqu'un à cet instant là. J'en avais besoin, et qui plus est c'était lui qui était venu à ma rencontre. Cela m'avait touchée.

- Salut ! Moi c'est Cihat !

Cihat n'était pas un nom très courant... je ne pus m'empêcher de penser à "chat". Je l'imaginais aussitôt tel un chat et retins comme je pus un petit rire qui se fit tout de même entendre.

- Lily, pour ma part. Mais j'aime bien qu'on m'appelle Léo, alors à toi de choisir.

Ah oui, le Léo c'était une petite manie chez moi. J'aimais bien ce prénom... bien que ce soit masculin. Alors j'avais décidé que je voulais m'appeler ainsi. Sauf qu'on ne change pas son prénom et par conséquent, je demandais aux autres de m'appeler ainsi. Ils pouvaient toutefois choisir... Je plantai mon regard bleuté dans le sien. Je l'aimais bien, ce garçon, vraiment, il me laissait une bonne impression.

J'avais beau être une personne qui s'en fichait souvent des remarques et des avis des autres, je redoutais un peu la réaction de ce garçon qui venait de m'aborder, après ce que j'avais déclaré. Une fille qui voulait se faire appeler Léo, c'était peu commun. Mais j'étais dans tous les cas une sorte d'originale, tout en étant dans la norme... oui, j'étais comme tout le monde, j'étais humaine, j'étais comme tous mais à la fois unique. C'était le propre de l'homme... Pourtant sa réaction ne fut aucunement pareille à un rejet.

-Tu veux que je t'appelle Léo, hein? Aucun problème! Moi je me fiche du surnom que tu peux me donner tant que c'est pas méchant. Genre si l'envie t'en prends tu peux m'appeler abricot ou Kiwi , ou alors même Cici tant que t'y est, héhé. Très bien, Léo. Euh, tu pourrais un peu m'expliquer comment ça se passe ici, s'teuplé?

J'ouvris grand les yeux. Ça ne lui posait pas de problème de m'appeler ainsi ? Tout le monde s'était vite habitué à m'appeler Lily, car c'était ainsi que les professeurs m'appelaient, et donc c'était dur pour eux de me nommer différemment. Non, pour tous j'étais "Lily Walter Liimatainen", la fille au nom étranger imprononçable pour les japonais. C'était aussi une des raisons me poussant à vouloir m'appeler Léo, cela évitait que l'on écorche mon nom. D'autant plus qu'ici, au Japon, tous avaient pour habitude d'appeler les gens par leur nom de famille. Je vous disais pas l'horreur quand il s'agissait de moi... mais bon, à croire que Léo ne passait pas. Du coup, remarquer que Cihat, le nouveau venu, ma nouvelle rencontre et connaissance l'acceptait me faisait plaisir... bêtement.

Je ne savais pas trop comment répondre à sa question ma foi plutôt vague, et je me contentai donc de lui expliquer les procédures à suivre vu qu'il venait d'arriver. Je supposais que tout le reste pouvait s'expliquer en long et en large, plus tard peut-être ? J'attendais toutes ses questions avec impatience, à dire vrai j'étais du genre bavarde et ravie si je pouvais l'aider.

- Comment ça se passe ? Euh, eh bien... déjà, il va falloir que tu ailles chercher ton uniforme auprès du directeur de ton dortoir, et on te montrera ta chambre où tu pourras t'installer.

J'arborais actuellement la veste rouge des garçons, ayant bien vite délaissé l'uniforme des filles. Je l'avais simplement enfilée par dessus un t-shirt et en bas, je portais un simple jean avec des converses rouges, mes chéries. Autour de mon cou, mon habituelle écharpe rouge flottait au gré du vent. Oui, rouge était un mot qui me décrivait très bien, certes.

- Au fait, est-ce que t'es nouvelle toi aussi? Reprit-il.

J'éclatai immédiatement de rire. Elle était bonne celle là ! Haha, je riais à n'en plus finir. Je finis tout de même par me calmer et lui répondis :

- Haha non, je suis en dernière année ! Mais ça ne fait que ma troisième année passée ici, j'ai fait ma première année à la Duel Académie Polaire... dans le Nord de l'Europe, tu sais.

J'eus alors une idée lumineuse et m'écriai, alors que j'étais tout sourire :

- D'ailleurs, si j'en profitais pour t'amener à ton dortoir ... Tu es affecté où ?

Je ne savais pas s'il était nommé chez les Bleus, les Jaunes ou les Rouges mais dans tous les cas, je connaissais l'île par coeur et je pouvais bien l'y emmener. De plus, s'il était un Rouge Slipher comme moi je pouvais même lui présenter le professeur principal, manger avec lui, lui montrer le dortoir... oui bon, je m'emportais, en effet il n'était pas forcément de cette couleur-ci. Mais je ne pouvais m'empêcher d'être super contente. Ce nouveau, alors qu'il y en avait tant d'autres descendus de ce bateau, m'avait tendu la main. Lui.

Je remarquai soudain que j'étais à nouveau de bonne humeur. Je souriais...

Après avoir entendu ma question, Cihat sembla se rappeler subitement de quelque chose. Il enleva son sac et fouilla dedans, et en sortit une lettre ; je la reconnus, c'était la lettre officielle de la Duel Académy, cachetée et signée par le doyen en personne. La lettre grâce à laquelle on découvrait son affectation. Cihat la retourna et la regarda comme un enfant se rendant enfin compte de l'importance de ce fameux pli qu'on lui avait sans doute confié lors de sa traversée sur le bateau. Je souris, amusée par son comportement. Je découvris aussi en jetant un oeil à son sac qu'il contenait un paquet de glaces... je me demandais comment il faisait pour qu'elles ne fondent pas, son sac était-il isotherme ? Ou alors il avait des packs de glace dedans... ou alors...

- D'après cette lettre...Je suis chez les rouges Slifer! Ah, j'aurais le même uniforme que toi donc!

Il leva alors la tête vers moi. Mon visage s'illumina tandis que je lui pris les mains, toute joyeuse. Je m'exclamai, la voix pleine d'enthousiasme :

- Génial ! C'est absolument gé-nial ! Tu te rends compte, on va être dans le même dortoir, c'est trop cool !

Je gardais un instant le sourire idiot sur mon visage et réalisai que je serrai avec joie les mains d'un garçon que je venais de rencontrer. Pourquoi est-ce que ça me faisait tant plaisir ? Aucune idée, en fait. Simplement... simplement, ce type était si franc, si enthousiaste qu'il me rappelait un peu ce que j'étais, j'avais la sensation qu'on se ressemblait. Et puis, ces derniers temps ce n'était pas la joie, je me sentais vraiment mal et me renfermais volontairement sur moi-même. Cihat avait réussi à me tirer de mes sombres pensées et peut-être était-ce pour cela que je venais d'énormément m'attacher à lui, sur le coup ? Toujours était-il qu'il allait être dans le dortoir des rouges. Bon sang que j'avais hâte ! J'allais pouvoir discuter avec lui de duels ! Et...

Ma mine perdit soudain un peu de sa bonne humeur apparente. Non, je n'étais pas sûre de pouvoir le défier en duel. Mes cartes... la dimension parallèle dans laquelle l'école avait été projetée l'année précédente. Bon sang... un frisson me parcourra l'échine, mais je fis tout pour qu'on ne l'aperçoive pas. Je secouai la tête et ré-affichai un sourire, ce n'était pas le moment de flancher !

- Donc viens, je t'emmène auprès de notre prof principal pour que tu obtiennes ton uniforme, et puis je te ferai visiter c'est d'accord ?

Mais je n'attendis finalement pas son accord, je n'avais de toute façon pas besoin de réponse pour entraîner Cihat où j'en avais envie. Notre dortoir se trouvant vraiment près du port, il ne fut pas trop complexe de l'y conduire et, tout en admirant la vue je me demandais déjà quelle chambre il allait occuper. C'était notre professeur adoré qui faisait la répartition des chambres comme la cuisine... d'ailleurs sa cuisine était assez spéciale. Elle avait la réputation d'être plutôt mauvaise mais quelle différence pour moi, j'étais une grosse mangeuse et vraiment pas difficile. D'ailleurs il allait falloir que je songe à faire un peu plus de sport. Sans doute cela me changerait aussi les idées et m'empêcher de déprimer davantage ?

Je me rendis compte qu'enfin, pour la première fois depuis cette histoire étrange et traumatisante, je pensais à des choses plus positives. Je cherchais un moyen de remonter la pente. Je n'avais plus envie de me laisser couler, de me regarder tomber de loin sans rien faire. Je voulais faire un duel contre Cihat. En serais-je un jour capable ? Je l'espérais.